C’est parti ! Des qui se déclarent, des qui arrêtent avant d’être partis, ceux qui se découpent une silhouette bien stéréotypée, ceux qui concourent pour donner l’air que le choix existent… la campagne, ce printemps, aura les traits tirées de l’automne sans qu’il reste à ramasser la moindre illusion.
L’heure du pragmatisme récuse l’idée qu’il peut, pourrait à tout le moins, apparaître autre chose que la reproduction (plutôt stérile) de modèles usées. On glosera sur l’abstention, la désaffection du politique, cet affadissement bien connu de la démocratie [1]. La faute au peuple ? Aux politiques ? A la presse ? A un naturalisme de l’urne qui fait de sa transparence en plexiglas la métaphore inversée de son opacité ?
Alors rions du Sénégal, raillons le Cameroun, jetons l’Egypte avec l’eau de la nouveauté. La liberté tunisienne fait le lit des barbus entend-on, tandis que là-bas, dans les largeurs hexagonales, les hauteurs de vue dépassent l’entendement déraisonnable, et ne connaissent, bien sûr, aucun excès tricolore. Son Tocqueville sous le bras et son Jean-Jacques en rond de cuir, on s’envoie des roses de comptoirs avec l’air de s’offusquer d’être pris pour ce qu’on est.
25 ans au moins que les banlieues se transmettent les mêmes maux et servent les discours identiques. 40 ans que les candidats déterrent l’industrie d’une France laborieuse au moment de passer à l’urne, pendant que le reste du temps, de la miniature automobile à la moutarde, tout se manufacture ailleurs.
Heureusement la France a ses Arabes. Qu’ils soient Berbères ou Maliens, musulmans ou n’importent quoi d’autres, on les ressort en quota positif ou en « problème réel », pour dégorger quelques rengaines qui fleurent le terroir républicain, celui de quand on faisait pas de fautes, qu’on uniformisait avec une école élémentaire pour les primaires et une supérieure pour les classes éponymes. Que ces refrains sonnent années trente, que les démographes aient largement démontré les mécanismes de ces comportements [2], vox populi et homo publicus s’en contrefoutent avec des ficelles de maquignons.
Qui peut croire qu’un ministre, et derrière lui quelques potes, soit inculte, de mauvaise fois ou simplement con à ce point qu’il en sort une bien grasse, à propos d’une hiérarchie des civilisations, comme une « presque évidence » [3] ? Le coup de celui qui pense tout haut ce que les veaux marmonnent au comptoir a déjà servi. Que l’auteur s’en lave les mains pendant que ses amis lui tiennent la serviette aussi ! Bien sûr les optimistes se réjouiront que les langues se délient et « les véritables républicains devraient [se] réjouir [du fait qu’on puisse répondre à ces énormités], car c’est un progrès de la démocratie. » On peut aussi s’étonner que de tels propos puissent encore servir à faire passer celui qui les profère pour autre chose qu’un âne. Comment fait-on pour parvenir à croire encore au racisme ou à la supériorité d’une société qui, par exemple, ne sait toujours pas scolariser toute sa population ?
André Comte Sponville en intellectuel pédagogue, cherche à montrer que cette évaluation des civilisations ne tient pas ; il rappelle qu’ « […] une civilisation n’est pas un ensemble homogène et immuable, ni même une collection strictement définie […] ». Il oublie simplement que le lambda de base ignore que la moitié de la population africaine est urbaine, que les tee-shirts made in Thaïlande et les téléphones portables y sont plus courants que les pagnes en peau de zèbre. Si ces détails ne garantissent pas plus qu’aux industrialisés l’accès des Africains à une supériorité, ils disent que ce monde des Autres hommes chers à Michel Viotte [4], ne frappent pas aux murs de l’Union Européenne par hasard mais par logique. Ils appartiennent, absolument, au même monde, sans avoir accès aux éléments essentiels qui le constituent [5]. Le philosophe philanthrope ignore peut-être que parmi les « expatriés » d’occident, tout civilisés de république, vivant dans le “Sud”, certains estiment vivre hors de la civilisation quand ils ne se branchent pas sur TF1 tous les soirs et ne profitent pas à plein poumons des bienfaits du monde industriel et des derniers objets de consommation de masse.
Mais ce ne sont pas les invisibles du tiers monde que ciblent les ministres en précampagne. Ils ne les croisent pas plus en Afrique ou en Asie que dans les couloirs des métros et ces transparents ne les dérangent probablement pas beaucoup. Les politiques profitent seulement des vents d’émotions pour amalgamer très consciemment et repeindre la réalité sans chercher à l’infléchir. Gris de mémoire, les « Autres hommes » continuent de ne pas apparaître dans leur complexité. Après avoir creusé les galeries de mines, coulé le béton des HLM, glorieusement peint les bagnoles de la révolution des loisirs, ils constituent encore ce prolétariat qui pose tant de problème au capitalisme industriel qui l’a inventé. Nos ministres se balancent complètement de questions philosophiques, et le faux pavé de l’égalité des civilisations n’a d’utilité que dans la mesure où la boue stagne toujours au fond du marigot. La faire remonter brouille l’incurie de politiques à la vision de myope. La Syrie peut dès lors massacrer son avenir en conformité avec son infériorité supposée, que des milliers de contre exemples assassinés ne pourront surévaluer. En crachant sur de supposées civilisations, le ministre ne cherche rien d’autre que caresser le populo avec lequel il partage les mêmes lignes d’horizon. C’est si bon de flatter sa hauteur en continuant de n’avoir comme solution que le recyclage de conservatismes éculés.
15 mars 2012
[1] Thème largement labouré. Cf Pierre Rosenvallon par exemple qui rappelle que la démocratie n’est pas fixe, que dans une perspective historique, elle est une « utopie trahie » balançant entre « désenchantement » et « indétermination ». Médiatiquement elle ne peut pas passer au prisme de la communication. Cf http://www.college-de-france.fr/sit...
[2] Lire et relire les Trois France d’Hervé Le Bras
[3] Brice Hortefeux, sité par Gérard Noiriel dans Le Monde du 24/02/2012. Les autres citations sont tirées du même numéro
[4] film documentaire, Arte et Réunion des Musées Nationaux,2006
[5] les définitions de la mondialisation se rapprochent de ce point de vue des principes de libre circulation des personnes, probablement un des droits fondamentaux les moins partagés