Directeur de collection chez Actes sud [1], éditeur donc, rédacteur, homme de culture et de simplicité, Bernard Magnier se présente comme quelqu’un qui vit de ses lectures et de ses voyages. Une personne comblée en quelque sorte.
Devant un parterre d’étudiants malgaches, il cherche à faire profiter de cette passion évidente pour les livres. Promoteur des auteurs d’ailleurs, il montre, sans grand souci de la francophonie, que la littérature, et particulièrement la littérature de langue française se nourrit de ces plumes nées loin des cercles parisiens, des cercles des Vè et VIè arrondissements qui balancent entre la Sorbonne, la rue d’Ulm, les parfums désuets et prestigieux des cafés de St Germain, et de leur incommensurable vacuité. Oh, l’homme de l’âge qu’est Bernard Magnier n’entre pas de front dans cette polémique du nombrilisme de l’édition contemporaine française. Il n’en dit rien. Il parle plutôt de son métier qui consiste à lire et publier des écrivains venus d’Afrique, des Caraïbes et des contrées où les livres restent encore si rares.
La salle de « l’espace francophone », à l’université de Barikadimy de Tamatave, est remplie comme rarement ce 20 mars. Les jeunes gens, amoureux naïfs de la langue, écoutent cet énergumène qui leur parle avec chaleur d’un monde inaccessible. Loin des velours, en habitué des conférences installées entre sable et bricolage technique, il ne parle pas avec distance et suffisance. La littérature, dans sa bouche, n’est pas un cercle, elle ouvre au contraire à la rencontre d’environnements et d’humanités différentes. Il brosse d’abord un portrait par touches subjectives de la littérature française écrite par des auteurs nés ou ayant des liens hors de France. Apollinaire, Ionesco, Camus, ont soufflé leur propre tonalité avant que Kourouma ne fasse de nouveaux enfants au français de France [2]. Sans noyer l’auditoire sous les références, il évoque, en passant, ceux qui sont venus, ou viennent au français pour écrire.
Bernard Magnier reprend ensuite les grandes périodes de la littérature d’Afrique, depuis l’émergence des plumes nourries des paradoxes culturels de la colonisation, suivies par celles des indépendances puis de leurs désillusions. Ensuite il rend à l’écriture ce qui lui revient : l’universalité. Il évoque ces générations d’auteurs qui ne se sentent plus la nécessité de dire les Afriques, au pluriel ou au singulier, mais veulent, comme d’autres, parler du monde [3]. On retrouve le Bernard Magnier d’articles sur ces « plumes expatriées » qu’il côtoie dans son métier d’éditeur. [4].
Curieux, attentif, l’homme participe à l’existence de lieux où ces auteurs peuvent être vus. Il est l’animateur et le programmateur du festival des littératures métisses [5], il rédige le journal du Tarmac, théâtre militant dédié à la scène « contemporaine francophone non hexagonale ». Et bien sûr il se rend sur place, comme devant les étudiants de Barikadimy qui, au rebours des stéréotypes sur la réserve malgache, le questionnent et s’accrochent à celui qui les exhorte à « lire, lire et lire ». Disant cela il sait très bien combien l’accès au livre est rare, onéreux, et souvent en régression. L’éditeur participe d’ailleurs à l’initiative de coéditions d’ouvrages plus accessibles réservés au continent africain.
Sa principale réussite, cet après-midi sous la chaleur des tôles, tient surtout à son enthousiasme à parler de sa passion pour les livres. Ces objets souvent poussiéreux, auréolés d’humidité, quand ils ont survécu dans les rarissimes bibliothèques, deviennent des intimes, des copains à inviter, des compagnons de voyage, quand il se penche vers son auditoire en complice malin. Volubile, intarissable, il évite toujours l’écueil du phraseur pour rester un lecteur espiègle qui, sans le dire franchement, fait un pied de nez à la façade clinquante d’un monde repu de son inanité.
25 mars 2012
[1] Lettres Africaines chez Actes Sud
[2] bien sûr lire et relire En attendant le vote des bêtes sauvages, Allah n’est pas obligé. A la langue s’ajoute une narration et un traitement du réel indescriptibles. Ces particularismes, sans qu’ils se ressemblent, se retrouvent chez Patrice Nganang, pour évoquer un auteur actuel
[3] quand par exemple Kossi Efoui affirme "je ne suis pas un auteur africain" in Courrier International, 12/2011
[4] "Beurs noirs à Black Babel" in Notre librairie, n°63, 1990, pp.102-103, cité par Boniface Mongo-Mboussa dans l’indocilité/supplément au Désir d’Afrique, Gallimard, 2005. D’ailleurs aux études et anthologies telles que celles de Jacques Chevrier qui explore ce territoire depuis 40 ans, on peut ajouter les deux essais de Boniface Mongo-Mboussa, incisives et stimulantes promenades en littératures d’Afrique
[5] les 25, 26 et 27 mai à Angoulême, en même temps que le festival étonnants voyageurs de St Malo, avoue-t-il.