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Déclinaisons plurielles

Une semaine. Depuis huit jours les écrans ont dessiné la tronche du candidat vainqueur au second tour. Depuis mai 2002, c’est une expérience désagréable, ce moment d’attente, même sans télé. L’élection se transforme en jeu et le « winner » n’est jamais du côté de celui qui regarde.

Mai 2002 donc. JC pouvait arborer ses initiales providentielles ; il était l’homme du barrage. Le seul intérêt de son succès à la Bokassa, ou à la Bongo, résidait évidemment dans l’invalidité de ce score. Légal mais sûrement pas représentatif, le nouveau président n’avait pas 50 manières d’asseoir sa légitimité : élargir la représentation aux groupes qui avait offert leurs bulletins à son élection. Au lieu de quoi, Christine Boutin, filmée dans un véhicule qui l’emmenait vers un buffet, jubilait : « 79% tout de même ». De l’inimaginable en démocratie où l’entredeux aime l’équilibre instable. Au naïf qui ne l’avait pas compris, pour les appareils de partis, l’élection est une accession au pouvoir, pas une quête démocratique.

Restait pourtant à l’électeur des leviers, dont celui, capital dans la Vème, des législatives. L’adversaire d’hier semblait l’oublier, qui, dépité par le revers de sa défaite, annonçait qu’il quitterait la vie politique. Le geste avait une certaine noblesse sauf que Jospin changeait de registre entre deux rounds. Son retrait indiquait la fin du combat quand il aurait été possible de coller une nouvelle cohabitation à celui qui s’en était fait une spécialité. Les républicains, plus fin de siècle que début de millénaire, estimaient avoir accompli une prouesse en boutant le Front National hors du champ électoral, la gauche middle class entrait dans l’opposition comme en résistance, et il n’y avait qu’à s’acheter une bonne paire de pompes pour jouer la prochaine manche avec les pieds. Ainsi le rôle des législatives avait été enterré pour laisser croire que tout se joue en mai.

Assises sur des circonscriptions parfaitement incompréhensibles, l’élection des députés sont sans doute trop attachées à des souvenirs scolaires où l’on assène les organigrammes comparés de la IVème et de la Vème, pour souligner l’harmonie architecturale de la seconde. Elle permet de coller deux têtes, celle du président et celle du premier ministre en oubliant de qui il émane. Pourtant en 1986 puis 1993 et magistralement en 1997, les citoyens français, tout ignorants des institutions, ont imposé, avec une constance rare en période de doutes électoraux, la coexistence de représentants de deux mouvances politiques opposées. A la droite l’Etat, à la gauche le gouvernement, ou l’inverse selon les périodes. La cohabitation fit l’unanimité parmi les responsables politiques et parmi les experts de ces questions, elle était inefficace, aberrante.

La première avait entrainé des conciles incroyables pour savoir comment elle pouvait seulement être nommée. Les suivantes alimentaient l’idée que, vraiment, rien n’allait plus dans le monde électoral si la démocratie cessait d’être manichéenne, ce qu’elle ne peut pas être par nature. Fonctionnement, appareil politique, institutions, distance entre le discours et la réalité, tout montre que la démocratie est le lieu du compromis. Mais là non. Alors qu’une maturité de l’électeur devrait dépasser les clivages gauche/droite trop marqués, là subitement, ce choix du cul sur deux chaises ne pouvait pas marcher. Voter c’est choisir, certes. Mais voter prend un s, puisqu’une élection n’est jamais que le début d’un mandat, d’une période mise à l’épreuve des faits et des opinions.

Le quinquennat a eu raison de ce régime ni sel ni sucre. Encore que. Le citoyen, décidément retord, s’est mis à se servir des régionales, des référendums et même d’une élection indirect comme les sénatoriales pour jouer au bâton du diable. Laissant la majorité au bloc Etat/gouvernement, la donnant à la gauche à chaque occasion. Récemment une journaliste radio (toujours sur RFI, je reste éloigné d’autres sources régulières), s’inquiétait auprès d’un candidat de gauche du risque d’une majorité dans toutes les instances : présidence, gouvernement, assemblée nationale, sénat, etc. En soi c’est pourtant une configuration qui rappelle, de façon inversée, les premières magistratures de la Vème. Elle aurait pu rajouter d’ailleurs que la démocratie avec les pieds est souvent, aussi, une tendance de gauche, et que ce folklore, qui devrait être imposé comme exercice pratique d’éducation civique, répond justement à l’absence d’alternatives politiques quand toutes les barres sont à droite. Imagine-t-on le MEDEF défiler aux mots de « flexibilité », « soyons libres de délocaliser », « maintenons les inégalités » ? Outre qu’il n’aura pas besoin de le faire car la sociale démocratie a rarement la main lourde à l’endroit du pouvoir économique, ce dernier constitue justement un de ces appareils non élu qui compense une bascule à gauche.

Hors de la sphère électorale, combien de groupes de presses, de secteurs économiques agissent en lobbying ? Les grands mouvements sociaux de ces 15 dernières années connaissant bien cette chape qui ne laisse émerger une action de l’anonymat qu’après des semaines d’indifférence et de dénigrement. Les responsables des mouvements sociaux expérimentent alors la surenchère réclamée par les médias et le manichéisme imposé pour entrer dans les formats de diffusion. La démocratie du peuple est celle qui fait probablement le plus de bruits parce qu’elle a peu de poids. Les clempins de base se souviennent aussi de quelle façon les mécanismes institutionnels et les habitudes imposent les grandes instances syndicales qui finissent toujours par régir en institutions soucieuses de leur avenir financier et électoral.

Décidément, il n’y a guère de risque de monopole électoral tant que les élections sont déclinées aux pluriels. La présidentielle n’est rien sans son assise législative. Et le poids des élus locaux de tout bord, de tout niveau, continue de peser sur les grands appareils quand ils doivent compter sur leurs électeurs à la prochaine échéance. L’urne, comme la démocratie, doit se nourrir d’incertitude, de flottement, de remise en cause.

Le bulletin est un des moyens d’assiéger le politique en permanence, non par le seul poids de la voix qu’il porte, mais par la vigueur de son contenu. Il n’est pas un blanc-seing, au mieux une poignée de mains qui scelle un contrat à durée déterminée.