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Introuvable

Certaines positions sont plus faciles à tenir. Etre le "président des riches" [1], finalement c’est gonfler la voile dans le sens du vent ; ça marche tant qu’il ne tourne pas. Alors bien sûr, être socialiste en enterrant tous les fondements de la doctrine, ça devient plus compliqué.

René Rémond l’avait écrit il y a fort longtemps [2], la différence entre la gauche et la droite tient surtout à une conception de la société. Depuis l’accession de Mitterrand à la présidence, la gauche de gouvernement a effectivement viré rapidement le credo d’une économie socialisée pour la préférer régulée. L’alternative se jouait sur des ajustements législatifs et sociaux. Cela a donné des gestes impressionnants, quand la France par exemple a aboli la peine de mort. Plus modestement il y eut une législation sur la pauvreté et les diverses programmes d’insertion et d’aides financières, dont le RMI qui ne disait pas le fond du problème tout en y répondant : l’économie capitaliste sécrète du chômage et ne donne jamais du travail à tout le monde, sauf dans quelques situations exceptionnelles et artificielles. Pour le moment ce sera l’égalisation des droits pour les couples homosexuels. Et encore les points litigieux, les véritables achoppements, ceux qui secouent les convictions de la famille, de la procréation, de la parentalité, ceux-là sont tranquillement mis en suspens. Pourtant cette législation, quoi qu’on en pense, souffle dans le sens de l’époque. Bien sûr les couples homosexuels pourront à terme adopter et procréer librement en France ; oui, même en France ! Alors pourquoi tant d’atermoiements de la part de la gauche de gouvernement ?

Voilà une occasion claire de fixer des limites, d’affirmer là où la gauche réformatrice s’arrête et là où commencent les conservatismes, les naturalismes libéraux pré-darwiniens, la réaction séculaire [3]. Pour le dire il faudrait qu’elle sache, cette gauche électible, ce qu’elle est.

Déjà en 1991 elle courait derrière une coalition militaire en Irak, comme plus tard l’Etat chiraquien au Kosovo -tiens, déjà avec un gouvernement socialo-centriste - et ensuite le récent virage vers l’OTAN et l’alignement français derrière la bannière étoilée. Aujourd’hui elle se lance au Mali, avec le même contrepoids moral que dans les Balkans : agir urgemment contre un mal. Et elle use de ce vocabulaire unanimiste qui ne souffre aucune critique : lutte contre le "terrorisme", éradication du fanatisme.

Laissons les causes, bonnes ou mauvaises, de cette action militaire au Mali qui dit surtout que ce gouvernement est sans surprise. Rien en Syrie, rien de radical dans l’économie, des vaguelettes dans la fiscalité et un entêtement d’apparence qui se cogne régulièrement dans les encadrements de porte. Qu’un ministre se prenne à vouloir tirer sur une drisse pour voir s’il est possible de remonter contre le vent et le timonier joue de son autorité ; que la rue reprenne l’envie de siffloter le temps des cerises et les têtes ampoulées du gouvernement retournent à leur mine de premiers de la classe absorbés par le sérieux du monde.

Il y eut un temps la droite autoproclamée la plus bête du monde, la gauche de gouvernement invente le socialisme diffus, dilué pour ne pas dire introuvable [4]




[1] Michel Pinçon et Monique Piçon-Charlot, Le président des riches, éd.La Découverte

[2] on consultera utilement l’article d’Alain de Benoist, "l’effacement du clivage droite-gauche"

[3] "La gauche c’est Don Quichotte, et la droite, c’est Sancho Pança" in Le monde du 13/09/2012

[4] Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, Gallimard. Et surtout le récent La société des égaux, Le Seuil