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La politique existe

A rebours des impressions sur l’inanité démocratique, voire sur sa lente déliquescessence, la politique se pratique, effective et surprenante, ça et là, dans des recoins où personne ne l’attend.

Elle se rencontre rarement parmi les élus des contrées occidentales, et pas davantage ailleurs, où les reflets tropicaux les confinent trop souvent à une caricature d’activités républicaines. Car il en va de la liturgie nationale comme des fastes de l’Eglise : elle aide souvent à cacher l’absence du Verbe derrière le discours. La politique alors se laisse faire plutôt que de donner le ton ; elle suit les courbes des sondages dont on se demande souvent ce qu’ils mesurent, elle se laisse porter par les méandres médiatiques, se précipite sur l’événement comme les mouches sur la charogne. Elle légifère à défaut de gouverner, abandonnant les résolutions aux mécanismes de l’administration qui sait admirablement moudre le vent au point d’édulcorer les décisions les plus légitimes. On sait tout cela.

Les mesures fiscales deviennent des contrefaçons du tango, les réformes des tautologies qui s’autoalimentent, et le vide fait la part belle aux idéologies en creux, des avatars tex-tiles de la théologie aux nauséeuses ratiocinations sectaires. Un abruti médiatique mérite la censure et l’honneur de la presse, le nationalisme devient une source de références délétères, et le chômeur pointe avec son voisin, le père, le fils et les contingents populaires qui n’auront pas davantage vu les effets de l’enrichissement que ceux de la crise.

Ils iront aux urnes quand même. Malgré les petits élus communaux qui espèrent leur part de la manne immobilière et des redistributions de fonction. Malgré leurs sénateurs ina-movibles, leurs députés parachutés, et leur désillusion chronique. Et pourquoi ce diable de peuple continue-t-il à chercher l’introuvable en perpétuant le geste noble du citoyen à l’urne ?

Peut-être parce qu’il voit quelque obscur inspecteur fiscal ou magistrat du parquet se te-nir droit encore dans son devoir. Sans doute parce qu’il sait que les stratégies électorales obligent les mandataires à rendre des comptes. Parce que, surtout, la vertu première des modestes réside dans leur indéfectible détermination.

Elle n’est pas à confondre avec l’attente, même si elle revêt des aspects d’attentisme et de résignation. Un peu partout, en fait, une sorte de nicodémisme démocratique main-tient le cap. Et les élus savent les limites de leur vacuité ou de leurs excès. La droite re-vient à son républicanisme un peu raide, la gauche à ses élans simples. Pas si con ce peuple introuvable, qui sait esquiver sans baisser la garde.

Bien sûr cette lenteur marginale a un coût. La médiocrité politique engraisse, les fron-tières ferment, des populations entières, des générations sont englouties par les erreurs, l’absence de volonté réelle et par l’entretien de la peur. R. Aron écrivit au sortir de la 2ème guerre mondiale : « Il est devenu banal (…) de dénoncer l’optimisme naïf, l’attente assurée de l’événement conforme à nos désirs. Il serait nécessaire de dénoncer au même titre l’attitude opposée, l’anticipation, tout ensemble angoissée et résignée, de la catastrophe que l’on proclame à l’avance inévitable. On parle couramment de pensée par désir ; on ne reconnaît pas aussi clairement la pensée par peur. » [1]. En effet, s’il existe un vote de replis, une violence de rejet, a contrario, une sorte de force collective, portée par une minorité agissante, dans les associations, par l’édition, l’expérimentation en entreprise, la rigueur austère d’un fonctionnaire, résiste. Elle oppose un obstacle à la marche présentée comme naturelle du temps. Evidemment pour la voir, il faut y croire, il convient surtout de ne pas attendre qu’elle soit l’œuvre d’un autre, d’un meilleur moment, d’une opportunité ou d’une idée suffisante. La démocratie n’est pas dans l’urne, elle se niche dans le fond intangible de la conscience individuelle, elle a, à la façon de la Nation selon E. Renan, un chantier à renouveler en permanence. Il s’agit bien de s’y mettre aussi, seule condition à une réelle politique démocratique. « Le conflit est une situation complexe dans laquelle aucune des « parties » en présence ne pos-sède la « bonne solution ». (…) Ce sont les asymétries qui permettent de créer ! » rappelle M. Benasayag [2]. De créer, par exemple, à la façon dont les Fabulos Trobador le clamaient déjà il y a 20 ans, ce lien social indispen-sable au « vivre ensemble ». « Ta ville est le plus beau parc si telle est ton ambition » chantaient-ils en le faisant !




[1] R. Aron, L’homme contre les tyrans, Gallimard 1946 puis 1990, cité par Alya Aglan dans Le temps de la résistance, Actes Sud, 2008, p.256

[2] Eloge du conflit, La découverte, 2007, p.211