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Les urnes blanches

De scrutin en scrutin (tous les combien d’ailleurs ?), l’Europe s’éloigne des repères électoraux. Présente dans toutes les bouches comme source inépuisable de tous les maux économiques de nos sociétés, bras armé de la mondialisation, l’UE pourtant, quand il s’agit de se l’approprier par voix de vote, n’existe plus.

Des partis sortis des plus caricaturales configurations de mascarades électorales font irruption dans l’éphémère paysage de la campagne. Ils se multiplient, usant de désignation vague qui évite absolument de les identifier à une structure déjà en place, ils quémandent les deniers qui leur permettront seulement d’être présents sur les tables des bureaux de vote, certains mêmes n’ont de candidats qu’en certaines régions -configurées d’ailleurs pour la circonstance, sans assise administrative ou affective, donc élective.

L’UE, dont le nom phagocyte celui du continent, ne ressemble à rien de familier, elle est de cet étranger forcément autre et menaçant, hydre vorace sans doute, aveuglement injuste. Comment pourrait-elle apparaître autrement dans des pays où le voyage est si rare, où il existe par exotisme et différentiel de moyens, déversant ses red necks dans les oasis tunisiens et les riads marocains ?

Et pourtant, elle est bien là, cette fille de la mythologie, dans les combines juvéniles de l’interrail -ah les transports ferroviaires et leurs parcours amoureux !- , dans les programmes ERASMUS, dans ce goût irrépressible de la langue de l’autre, quand elle a le teint plus clair ou l’œil andalou, la peau mate ou la rousseur irlandaise...

L’Europe c’est ce petit livret violet-brun aux lettres d’or qui gomme les frontières, c’est le lien intime avec les bronzes de Donatello, les vitrines aux verres dépolis des pubs de Belfast, les tombes bancales d’un cimetière juif de Prague ou celte, ou bogomile, ou d’un de ses peuples qui ont drainé l’âme des territoires fluctuants au gré des époques, des prétentions et des utopies.

Car l’Europe unie c’est celle d’avant le capitalisme, celle qu’appelait Victor Hugo en digne rejeton de Thomas More et de Mme de Staël. L’Europe, elle existait déjà avec ces premiers ministres aux accents italiens dans les couloirs du Louvre ou des Tuileries. Elle faisait fuir, dans une épopée de roman, un jeune roi de Pologne pour regagner sa terre de naissance et reprendre la couronne à son frère défunt. Lui, le fils d’une italienne et du roi de France, promis un temps à la reine d’Angleterre.

L’Europe c’est un roman à écrire. L’Europe c’est l’éclat de cultures sans le bruit des bottes et l’élan nationaliste. Tous les conquérants autoritaires s’y sont cassés les dents, de Charlemange aux Habsbourg, de Napoléon à Hitler. L’Europe réussit mieux avec les romantiques qui meurent à l’ombre du Parthénon pour libérer les peuples. Elle donne des Semprun, des Hessel, des Ionesco, même des Savorgnan de Brazza et des Camus.

L’Europe mérite mieux que Bruxelles et Francfort. Il faut l’avoir vécu, avec, fermé et pincé entre ses doigts, un passeport qui ouvre les check point serbes, croates ou à Hébron, pour ressentir toute la puissance de ses possibles.

Elle est nulle, impuissante, hésitante. Elle est à faire, comme toujours en élection, par le bulletin et l’action qui doit suivre.